Le Musée du Luxembourg organise une exposition sur l’oeuvre du peintre et illustrateur slave Mucha. La dernière était organisée, il y a déjà près de quarante ans, au Grand Palais en 1980. Cette nouvelle rétrospective réussit, dans une harmonieuse scénographie, a montré les multiples facettes de l’artiste, fer de lance de l’Art Nouveau, particulièrement celle moins connue du patriote mystique, défenseur du monde slave.
Les étonnantes compositions de sujets féminins autour desquelles Mucha déploie tout son talent ornemental avec ses motifs fleuris et colorés sont aujourd’hui célèbres de par le monde. Des œuvres qui, à la Belle Epoque, ont fait le bonheur des producteurs de pièces de théâtre ou des industriels qui utilisèrent son talent pour leurs réclames en ce temps de balbutiements de la publicité. Sans se limiter à cette partie de son travail réalisée pour l’essentiel lors de ses années parisiennes, l’exposition prolonge la découverte de cet artiste étonnant à la vie résolument cosmopolite mais qui ne se départira pourtant jamais d’un patriotisme panslave fervent. Loin des artistes contemporains qui font aujourd’hui monter les enchères chez Sotheby’s, Mucha inscrit son oeuvre dans l’histoire et la culture de ses origines.
En 1910, après plus de vingt ans passés à Paris, il quitte la France et retourne s’installer dans sa patrie où il commence L’épopée slave, gigantesque travail pictural sur l’histoire de ces peuples alors en partie dominés par l’Empire austro-hongrois. La Bohême dont il est originaire a perdu son indépendance depuis 1620 et la bataille de la Montagne Blanche au début de la Guerre de Trente Ans. En dix huit années de travail contre cinq prévues initialement il compose avec une minutie d’orfèvre ces vingt toiles aux dimensions exceptionnelles huit mètres de large sur six mètres de haut. Il s’appuie dans la réalisation par tout un travail méthodique de documentation sur le folklore et les traditions des différentes régions. Un attachement aux racines de son peuple qui lui fera dire : « Je suis convaincu que le développement de chaque nation ne peut réussir que s’il se fait de façon organique et sans discontinuité depuis ses propres racines, et la connaissance du passé est indispensable pour la préservation de cette continuité. » On regrettera toutefois que l’exposition n’ait pu présenter aucune de ces oeuvres mais habilement le musée a toutefois décidé de représenter ces oeuvre par un système de vidéo projection. La frustration n’est pas complète.
Au moment d’offrir ce cycle à la ville de Prague en 1928, dix ans après que son pays la Tchécoslovaquie a acquis son indépendance après la Grand Guerre, il déclare lors de son discours : « Le but de mon oeuvre n’était pas destiné à démolir mais à construire, à lancer des ponts, car l’espoir que l’humanité se rapproche et se comprenne doit nous animer. Je serai heureux d’y avoir contribué au moins chez nous dans notre famille slave. » Ce grand pacifiste qui croyait à la concorde entre les hommes mourra malheureusement à l’aube d’un nouveau conflit mondial en 1939 alors que les armées allemandes viennent d’envahir sa patrie. L’ombre du Reich s’apprête à recouvrir les si belles couleurs du monde slave que Mucha sut si admirablement représenter dans ses peintures.