Germanicus entre dans le panthéon de ces hommes rares dont la mémoire traverse les siècles et féconde les imaginations au-delà de la mort. Une aura et un destin hors du commun pour une vie politique d’à peine quinze années. Lui redonner vie dans une biographie était une gageure tant les sources sont parcellaires sur son existence brève et prestigieuse. Yann Rivière réussit pourtant admirablement l’exercice dans cette biographie dense publiée par Perrin. Ce livre dont l’érudition de l’auteur transparaît à chaque page est le fruit d’une vie de travail sur l’Antiquité romaine.
La vie de ce prince mort précocement, pleuré par tout un peuple, n’est pas sans rappeler un de nos mythes contemporains. Quand Agrippine, la veuve de Germanicus, revient à Rome après sa mort avec les cendres de son époux, elle traverse les rues de la capitale de l’Empire et fend la foule éplorée jusqu’au palais familial. Une émotion populaire qui renvoie à celle du convoi funéraire de John Kennedy entouré de milliers d’Américains anonymes. Même jeunesse flamboyante brisée au seuil du pouvoir par une mort précoce et mystérieuse, laissant un peuple orphelin. Deux idoles politiques qui garderont le masque de la jeunesse pour l’éternité. Mêmes doutes sur les raisons d’une mort trop prématurée. Germanicus disparaît ainsi, emporté par une mystérieuse maladie au cours d’un voyage diplomatique en Orient. Une disparition à propos de laquelle l’auteur écarte la thèse de l’assassinat, longtemps soutenue par de nombreux historiens pour lesquels le légat Pinson, rival du prince, semblait incarner le coupable idéal. Un empoisonnement loin d’être improbable tant les talents du jeune homme ont pu susciter crainte et hostilité au sein de l’Empire. Des craintes qui se propagèrent jusqu’au cœur du palais impérial. Tibère, successeur d’Auguste, regardait avec méfiance ce neveu, descendant de Marc-Antoine, dont les succès militaires étaient suivis avec passion par le peuple de Rome. La mort d’Auguste en 14 ap. J.-C. avait laissé à son successeur un Empire aux règles de successions mal établies, et son trône encore fragile était l’objet de l’ambition de multiples factions qui mineront les règnes de la dynastie julio-claudienne.
Ce destin exceptionnel commence sous l’ombre tutélaire de son père, Drusus, prestigieux général des légions de Germanie dont il tirera son nom. Une jeunesse dont on ne connait que peu de choses, mais sur laquelle l’historien livre toutefois une minutieuse description tirée de l’étude de l’éducation des princes romains du temps. Débute alors à partir de ses 19 ans une carrière flamboyante durant laquelle le jeune homme allie compétences militaires et talents diplomatiques. Homme brillant, lié à Ovide, il acquière une grande culture latine et grecque ainsi qu’un talent rhétorique. Ce prince idéal prend très jeune le commandement des légions romaines du Rhin après avoir participé à la répression de révoltes en Illyrie ; il y mène de prestigieuses campagnes en Germanie face à Arminius. C’est contre ce célèbre chef germain qu’il s’impose comme un des plus brillants stratèges de l’histoire romaine. Il récupère les fameux aigles perdus des légions de Varus exterminées à Teutoburg. De ces campagnes menées loin derrière le Rhin, il obtiendra un triomphe à Rome lors de son rappel par Tibère, pour lequel la Germanie n’est plus la priorité, une fois le Rhin sécurisé.
Le prince est alors envoyé dans une mission diplomatique au Levant afin de stabiliser cette partie de l’Empire, dans laquelle les royaumes vassaux et les provinces romaines nécessitent l’habilité d’un grand politique. S’y révèlent alors les multiples talents de Germanicus ainsi que la complexité et la variété de sa mission, qui l’amène à assister au couronnement d’un roi au cœur de l’Arménie, ou bien à gérer les questions douanières de la cité de Palmyre, limite orientale de l’Empire. Il fait preuve toujours dans ces missions de sa finesse politique et d’une profonde tempérance de caractère. Des qualités qui le démarquent de ces empereurs qui, après sa mort, hériteront du trône impérial auquel il était destiné. Néron ou Caligula incarneront l’opposé de ces qualités, et cela même en faisant abstraction de la légende noire qui voile la vision que nous en avons. Un prince idéal et mythifié sur lequel, malgré la maigreur des sources, Yann Rivière réussit à écrire cette magistrale biographie qui dévoile un peu le visage derrière le masque figé de la légende.