C’est au son de cent un coups de canon tirés du haut des murs du Louvre que les Parisiens apprennent la nouvelle : le royaume de France a enfin un dauphin. Il faut en effet remonter au règne d’Henri II de Valois, plus de cinquante ans en arrière, pour assister à la naissance d’un héritier mâle à la cour de France.

Ce 27 septembre 1601, Marie de Médicis offre à Henri IV un fils légitime, apte à perpétuer la nouvelle dynastie des Bourbons. L’enfant royal arrive dans des conditions idéales quand, après quarante ans de guerres civiles, la prospérité revient dans le royaume. Henri IV est désormais aimé par son peuple qui, après l’avoir détesté en tant qu’Huguenot, célèbre maintenant sa bienveillance et son rôle pacificateur. C’est au château de Saint Germain, sur les bords de Seine, que le dauphin est façonné pour devenir le futur roi.
La fabrique d’un roi
Dans un temps où l’intérêt porté aux enfants est quasiment absent, les jeunes années du futur Louis XIII sont marquées, a contrario, par une particulière attention à son égard. Son éducation de dauphin se déroule sous le regard de la cour mais aussi de l’Europe entière. Chacun de ses faits et gestes est consigné dans les courriers des ambassadeurs qui scrutent avec attention son développement, de celui-ci dépendent la dynastie et l’avenir du royaume. Son enfance et son éducation, dès sa quatrième année, sont suivies avec le plus grand intérêt par ses parents qui choisissent nourrices, gouvernantes, précepteurs et tout le personnel chargé de l’accompagner vers l’âge adulte et sa future dignité royale. Le dauphin est un roi en devenir comme le constate l’historien Pascale Mormiche dans Devenir prince : « Leur vie est précieuse en ces temps où l’enfant n’est pas encore d’objet d’attentions. Leur statut d’enfant n’est d’ailleurs pas prépondérant. Ils sont d’abord des adultes en miniature, des rois en devenir, notamment quand ils incarnent, enfants, l’autorité royale en laissant à la régente le soin de gouverner en leur nom. »

Depuis l’instauration de la loi salique au XVe siècle, être roi c’est, avant tout, être un homme dans toute sa masculinité. La virilité du jeune prince est donc mise en exergue, exposée aux yeux de tous, surtout dans le contexte d’une cour habituée aux paillardises d’Henri IV. On assiste alors à des comportements très surprenants pour un lecteur moderne, comme on peut le constater à la lecture du journal d’Heroard, le médecin personnel du dauphin. Le futur Louis XIII est donc l’objet de multiples jeux grivois avec pour finalité d’éveiller sa sexualité dès son plus jeune âge. Ainsi, son médecin évoque cette étonnante pratique, à moins d’un an, quand il « prend plaisir et se rit à plein poumon quand la remueuse lui branle du bout du doigt sa guillery. » Amusements réciproques puisque lui-même, quelques années plus tard, s’adonne à toucher le sexe de sa nourrice et de ses partenaires de jeux. Son médecin en conclut de manière péremptoire qu’il « aimera le plaisir ». Or, la vie sexuelle de Louis XIII prouvera pourtant le contraire de cette assertion. Loin de lui donner un goût prononcé pour les ébats amoureux, ces pratiques l’en détourneront toute sa vie et l’amèneront rapidement à une pudibonderie qu’il conservera toute sa vie.
Mais le sexe n’est évidemment pas la seule partie du corps à être au centre du système éducatif dédié au dauphin. Ces années doivent servir aussi à façonner le corps royal pour le mettre en étroite adéquation avec son corps politique. Le corps naturel doit laisser place au corps d’apparat, à même d’incarner le pouvoir qu’il est amené à recevoir. Dès son plus jeune âge, on lui donne par conséquent la conscience des exigences liées à sa future charge. Celles-ci ne feront qu’accentuer sa souffrance face à certains manquements, tel son bégaiement chronique, source d’humiliations lors des cérémonies publiques. La froide rigidité de cette éducation l’amènera à devenir un adulte timide et taciturne. En raison de sa nature colérique, l’enfant royal subit de multiples punitions pour le mater allant jusqu’au fouet lors de crises de furie, considérées comme indignes de sa future fonction. D’inspiration néo-stoïcienne son éducation tend ainsi à l’amener à contrôler ses passions car l’homme colérique ne saurait bien mener les affaires de l’Etat. Toutes les attitudes naturelles inhérentes à l’enfance sont combattues : le prince ne doit pas pleurer, ne peut pas montrer sa peur et se doit de surmonter sa fatigue ou son dégoût en toutes circonstances comme lorsqu’il s’agit de laver les pieds des pauvres ou toucher les écrouelles.
Le dressage du corps royal
À cette éducation drastique s’ajoute un réel dressage du corps qui passe par de multiples activités physiques qui prennent une place importante dans son éducation. Le dauphin apprend ainsi à monter à cheval, à jouer à la paume, à danser, à courir… Et également le nécessaire apprentissage de la guerre dans un temps où le souverain doit être capable de prendre la tête de ses armées tout en se devant de gouverner sagement son royaume. Le jeune roi a heureusement, très jeune, un goût prononcé pour l’art militaire dans lequel son père s’illustra toute sa vie. Ainsi, comme le constate encore son médecin Hérouard tout au long de son journal, le futur Louis XIII prend un grand plaisir aux jeux guerriers et constate qu’il est capable de « s’amuser toujours aux petites actions de guerre. » Il revêt à cette occasion une armure tout en maniant avec habilité les épées fabriquées à sa mesure. La chasse, activité royale s’il en est, devient, dès son plus jeune âge également, une de ses activités favorites. Ces exercices sont encouragés pour amener le corps du souverain à s’endurcir dans des conditions d’endurance comme les longues courses à cheval, excellents moments d’aguerrissement pour les prévisionnels champs de bataille du futur roi.

Au-delà de son corps, on façonne son esprit. La formation intellectuelle du prince est sujette à une attention toute particulière. Comme l’écrit Isabelle François, dans L’institution du prince au début du XVIIe siècle, l’objectif est de le » rendre non seulement homme accompli, ce qui est le but de toute éducation, mais aussi apte à quoi il se trouv(ait) être naturellement destiné « . L’apprentissage de savoirs nécessaires au bon gouvernement du royaume lui est donné, mais on lui apprend aussi à tenir son rang de prince amené à régner sur un des trônes les plus prestigieux d’Europe. Le choix du précepteur est donc scruté avec attention et devient le centre de luttes d’influences à la cour. Suscitant la désapprobation du parti dévot et de Marie de Médicis, Henri IV choisit Vauquelon des Yveteaux, un poète, que l’on dit galant et licencieux. Celui-ci perçoit rapidement la dureté de caractère de son jeune élève : « Je crois que toute ses actions tendront à la bonté et à la gloire, mais ce sera peut-être par moyens mêlés d’une autorité fort absolue et de quelque promptitude violente. » L’assassinat du roi par Ravaillac en 1610 fragilise le poète, renvoyé l’année suivante. Nicolas Lefèvre prend alors la relève. Cet humaniste chrétien aux idées gallicanes, traducteur de Sénèque, a mis son érudition au service de l’histoire nationale, bouleversée par quarante ans de guerre civile. Celui-ci insiste sur le droit afin de maintenir l’ordre politique et affirmer l’autorité royale contre le parti de l’étranger mené par les jésuites ou la Ligue pro espagnole. Il met ainsi en place un cadre d’éducation où le savoir juridique, basé sur des traductions de textes de Justinien, prend une place primordiale. À sa mort, il est remplacé par David Rivault de Fleurance qui s’inscrit dans sa continuité et transmet lui aussi cette érudition caractéristique de l’éducation du jeune prince.
L’éducation religieuse du futur roi très chrétien est en parallèle extrêmement prégnante : le modèle qu’on lui donne est celui de son illustre ancêtre Saint Louis. Le jeune Louis est d’ailleurs très jeune habité par une grande spiritualité, rejetant vivement le vice et le péché. Il se nourrit de la lecture d’écrits religieux comme la Vie dévote de François de Sales. Malgré tout, des moments de temps libre lui sont réservés au cours desquels il peut se livrer enfin à des jeux d’enfants dans lesquels l’accompagnent ses frères et sœurs ainsi que les fils bâtards de son père. Il profite de ces moments privilégiés pour se livrer à des passions éclectiques comme le dessin et la peinture, l’entretien des armes, la forgerie ou la cuisine.
Cette éducation fera du jeune prince un adolescent qui, malgré sa timidité naturelle, sera très tôt conscient de sa dignité royale et des égards qui lui sont dus. C’est habité par cette certitude, nourri de cette éducation exigeante, qu’il renversera en 1617, le pouvoir de sa mère encore régente en osant provoquer l’assassinat de son ministre honni, Concini. Il s’emparera alors du trône pour lequel toutes ses années d’enfance furent un long et minutieux façonnage pour le conduire, au terme de ce combat, à sa légitime place.
Cet article a été initialement publié dans la revue Philitt.