Patrick Monier-Vinard, saint-cyrien et ancien parachutiste vient de publier, aux Editions des Equateurs, L’Armée de papa, un ouvrage remarquable et d’une densité exceptionnelle qui fourmille d’anecdotes et de citations sur l’histoire de l’Armée française à travers les siècles.
Vivre l’Histoire : Ce livre est-il né de la nostalgie d’un temps où le militaire était « applaudi à Longchamp à l’égal des chevaux de course » comme vous l’écrivez ?

Patrick Monier-Vinard : Il n’y a eu de ma part aucune nostalgie, mais beaucoup de tendresse à l’égard de mes grands anciens et l’envie de faire entendre leurs voix. Qu’il s’agisse du patois des piétons de la guerre de Cent Ans, des tirades ampoulées des maréchaux de Louis XV, des boutades des officiers de la Révolution et de l’Empire, des plaisanteries de caserne, des conversations de bivouac, de l’argot des tranchées, des cris des champs de bataille ou des récits de campagnes de vétérans à la gueule cassée, aux manches vides ou à la jambe de bois. S’il y a nostalgie, c’est dans le cœur de ces derniers qu’elle se trouve, pudiquement enfouie comme chez cet ancien combattant de la guerre de 1870 devenu gardien de square confiant trente-cinq ans plus tard à des enfants qui jouent aux métiers : « Vous voulez savoir, mes petits gars, quel est le plus beau métier ? Eh bien c’est d’être soldat ! »
Cette disparition du militaire dans le quotidien des Français pose-t-il un problème pour la société française d’aujourd’hui ?
Il n’y a pas de disparition, mais plutôt un effacement. Que les uniformes militaires ne soient plus visibles dans les rues que sous la forme des treillis de l’opération Sentinelle, que les casernes des centres-villes soient vides ou aient été vendues et remplacées par des immeubles est une chose. Une autre est la présence dans l’estime des Français de ces combattants qui, à des milliers de kilomètres de la métropole, risquent leur vie en opérations extérieures. Il n’est qu’à voir la foule qui se masse sur le pont Alexandre III à chaque passage d’un convoi mortuaire en route pour les Invalides. Les militaires disposent toujours de ce capital de sympathie qu’exprimait cette femme durant la Grande Guerre : « Les soldats, ça vit aujourd’hui ; dans huit jours c’est enterré, faut être bon pour eux. Y nous défendent. »
Ce livre, véritable coffre à trésors de citations et d’anecdotes, semble l’aboutissement d’un long travail. Comment avez-vous rédigé cet ouvrage ?
C’est un projet qui remonte à 2008, quand Négatif, mon colonel ! le désopilant « roman

militaire » que j’avais écrit, fut refusé par les éditeurs auxquels je l’avais adressé. Je tirai de cet échec la conclusion suivante : puisque mon humour laissait à désirer, j’allais emprunter celui des autres, en l’occurrence les bons mots dont mes prédécesseurs dans le métier des armes avaient parsemé leurs Mémoires, Souvenirs, carnets de route ou correspondances privées, et ce, qu’ils soient soldats de base, sergents, adjudants ou maréchaux de France. Je me mis en recherche, convaincu qu’en deux ans j’en trouverai assez pour trousser un livre de 300 pages. Sept ans après, j’y étais toujours et j’approchais des 1.000 pages quand mon éditeur, lassé de mes ajouts qui n’en finissaient pas, siffla la fin de la récréation d’une formule lapidaire : « Il faut savoir finir un livre comme on finit une guerre ou une grève. » Je n’en ai pas pour autant cessé mes recherches et je dispose à l’heure où je vous parle d’une centaine de pages de nouvelles et réjouissantes anecdotes que je regrette amèrement de n’avoir pas dénichées à temps. A quand une version enrichie de mon ouvrage, voire, moins coûteux, un simple, mais indispensable « Supplément à L’armée de Papa » ?
De toutes ces figures de militaires à qui vous redonnez vie, quelles sont celles qui incarnent, selon vous, le mieux le soldat français ?
Il n’existe pas de statues du commandeur qui incarneraient à elles seules le soldat français. Comment donner la palme à Bayard plutôt qu’à Turenne, à Hoche, à Guynemer, voire à une espèce de combattant mythique qui serait un mélange des quatre ? Si archétype du soldat français il devait y avoir, je crois qu’il faut aller le chercher chez les Poilus, tous âges, toutes armes et tous grades confondus. Exemplaires, ils le sont par la diversité de leurs origines – Lazare Ponticelli, le dernier survivant de la Grande Guerre était un Italien de la Légion étrangère – par la durée sans précédent de leurs souffrances – 4 ans et 3 mois – par l’étendue des pertes – 1 million 400.000 morts – par leur incroyable ténacité, mais aussi par leurs coups de blues, leurs colères et, parfois, leurs faiblesses.
Quelles sont justement les qualités les plus courantes du soldat français à travers les âges ?

Pour répondre à votre question, il me faudrait plus de temps que vous n’avez à me consacrer tant les qualités du soldat français sont nombreuses. Il m’a fallu près de mille pages pour n’en donner dans mon Armée de Papa qu’un bref aperçu. L’intelligence et son corollaire opérationnel le Système D, l’élégance du maintien, la sobriété alimentaire, l’humour, le désintéressement, l’esprit de camaraderie, la courtoisie à l’égard des civils, la prévenance à l’endroit des femmes, le goût des Arts et des Lettres, sans oublier cette cerise sur le gâteau qu’évoquait dans ses Mémoires le maréchal Suchet : « Le soldat français se distingue des soldats du reste de l’Europe par une qualité brillante que nul ne possède, du moins au même degré : il a de l’âme. » Si c’est un maréchal qui le dit…
Quelles sont les époques où le commandement français vous semble avoir été le plus remarquable et, au contraire, le plus défaillant ?
Si je vous parlais de la nullité de Soubise à Rossbach et de la désinvolture de Bazaine à Rezonville ou inversement de l’audace triomphante de Leclerc à Koufra, je ne répondrais pas à votre question qui concerne le commandement. Les personnages que je viens de citer ne commandaient pas en effet, ils dirigeaient. Pour moi, commander des hommes, c’est connaitre les visages et les noms de chacun, c’est vivre au milieu d’eux, partager leurs fatigues, combattre à leur côté. Ceux qui commandent ainsi, ce sont les commandants de compagnie, les chefs de section, les chefs de groupes. De Lattre ne s’y était trompé quand, à son arrivée à Hanoï en décembre 1950, il déclarait : « Je suis venu pour vous, les lieutenants, les capitaines. » N’est-ce pas d’ailleurs à un capitaine, le capitaine de Borelli, héros du siège de Tuyën Quang en 1885, que l’on doit le plus beau poème jamais écrit par un chef à ses hommes : « A mes hommes qui sont morts … C’est votre capitaine qui se souvient de vous… »
Bonjour,
j’ai œuvré de près – il y a maintenant longtemps – avec Patrick M.-V. et voudrais, à travers vous, le féliciter pour son travail (je vais commander l’ouvrage).
Voici mon courriel et mon nom lui rappellera, peut-être, un certain temps.
Faites-lui mes amitiés.
Christian Salle
Je transmets !
Vous ne m’avez pas laissé votre courriel.
Merci !
chrsalle@netcourrier.com