Barbarossa et le mythe du général « hiver »

Sur les réseaux sociaux, nous posions récemment la question suivante aux « followers » de Vivre l’histoire : « Quel est, selon vous le plus grand général de la Seconde Guerre mondiale ? » Parmi les nombreuses réponses reçues furent cités en premier lieu Rommel, Manstein ou Patton parmi les plus réputées casquettes étoilées du conflit. Quelques profils plus orientaux furent également évoqués comme les Russes Joukov, Rokossovski ou le Japonais Yamashita.  Plusieurs fois  revint aussi une réponse ancrée dans la mythologie de cette guerre : le général « hiver ». Ce titre de gloire attribué à une saison en référence à l’arrêt de l’armée allemande par la rigueur du fameux hiver russe déjà fatal à la Grande Armée. Depuis, le général « hiver » est devenu une légende évoquée dans multiples articles et ouvrages historiques. Ce mythe, Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri le déconstruisent brillamment dans leur livre Barbarossa.

Barbarossa aux Editions Passés composés

Sorti en fin d’année dernière aux Editions Passés composés, l’ouvrage est remarquable à plus d’un titre. Nous nous intéresserons plus particulièrement à sa dernière partie qui remet en cause bien des idées reçues sur cette bataille. Il y est en effet question de l’opération Typhon, nom de code allemand pour la terrible bataille d’octobre 1941, considérée comme la plus grande de l’histoire de l’humanité, qui avait pour objectif la prise de Moscou. Or, une opinion assez largement partagée prétend que les chars allemands furent bloqués aux portes de la capitale russe, non pas par la ténacité de l’adversaire, mais par la rigueur de l’hiver. C’est pourtant une toute autre réalité qui ressort de l’étude soigneuse et détaillée réalisée par les deux auteurs de l’ouvrage.

Pour mieux comprendre l’état dans lequel se trouvent les troupes allemandes au début de l’hiver 1941, nous devons revenir au début de l’opération Barbarossa le 22 juin 1941. Divisée en trois grands groupes d’armées, l’offensive allemande devait venir à bout de l’Armée rouge en trois mois maximum selon les plans de l’OKW, l’Etat-major allemand. Personne dans l’entourage du Führer ne croit alors un instant aux capacités combatives de l’armée russe qui vient de subir une grande purge de ses officiers et un échec cinglant en Finlande deux ans auparavant. Nul n’imagine un instant à Berlin que Moscou soit en mesure de résister au-delà de l’été. Et pourtant, malgré un début fulgurant de l’offensive germanique, la résistance russe est toujours puissante. Les  généraux allemands comme à leur habitude multiplient les manœuvres d’encerclements, les fameux chaudrons. Ils attrapent ainsi  dans leurs nasses des centaines de milliers de soldats soviétiques. Mais, contre toute attente, le soldat russe fait preuve d’une résistance opiniâtre sur tous les fronts. Les pertes russes effroyables sont compensées par la capacité de mobilisation totale de l’état soviétique qui crée sans cesse de nouvelles divisions, transfère les usines d’armement vers l’est et réussit par ce moyen à maintenir une prodigieuse capacité de production. Face à cette réaction inattendue, le plan allemand paraît très vite surdimensionné par rapport aux capacités de la Wehrmacht dont les trois objectifs principaux sont   : Leningrad pour le groupe d’armées A, Moscou pour le B et Kiev puis le Caucase pour le C. Dans ces contrées immenses, les divisions motorisées s’érodent tant par l’usure que par la dureté des combats. Le feld marshal Von Rundstedt qui dirige le groupe d’armées C écrit à sa femme ces mots désespérés : « L’immensité de la Russie nous dévore ».

Encercler Moscou !

Eté 1941

A la fin de l’été, l’inquiétude commence à monter au quartier général allemand.  L’offensive patine et les troupes sont harassées. Les objectifs de départ sont encore loin d’être atteints et il ne reste, encore en état de marche, qu’un tiers des véhicules du départ. Face à ces difficultés, Hitler accepte alors un changement de stratégie. Auparavant, le führer n’avait jamais considéré Moscou comme la priorité stratégique contrairement à Leningrad. En effet, la prise de cette ville permettrait d’empêcher le ravitaillement par le port de Mourmansk ou de l’Ukraine pour son blé et du Caucase pour son pétrole. « Il me faut l’Ukraine de façon qu’on ne puisse pas nous affamer, comme on l’a fait lors de la dernière guerre. » déclarait-t-il à ses généraux au début de la guerre. Dans ce nouveau contexte, l’effort allemand est donc en octobre 1941 finalement redirigé vers Moscou avec l’impérieux objectif d’accélérer l’effondrement du pouvoir soviétique. Plus d’un million de soldats et 1700 panzers sont alors lancés par le général Von Bock sur le schéma offensif classique des stratèges allemands. Deux pinces blindées, une au nord et l’autre au sud, doivent se rabattre à l’est de la ville pour boucler en tenaille l’encerclement. Après quelques succès au départ de l’opération, les doutes s’expriment très vite chez les officiers allemands, conscients de l’épuisement des troupes et de la fragilité des lignes de communication. La logistique restera en effet un des maillons faibles de l’armée allemande sur le front de l’est. Le major Hans Meier-Welcker, officier d’état-major de la 251e division d’infanterie, écrit le 7 novembre dans son journal : « Dans la guerre contre la Russie, le sophisme consiste en ceci que l’on a cru qu’après les premiers succès allemands, l’Union soviétique allait s’effondrer intérieurement. Même au stade actuel de la guerre, il n’y en a encore aucun signe. » Pour Jean Lopez « L’état du groupe d’armées Centre n’est pas brillant. La majeure partie des unités d’infanterie n’ont plus la moitié de leurs effectifs de combats. Le déficit en officiers et sous-officiers est alarmant. La troupe a froid, elle a faim… »

Offensive allemande

Le plan du général Von Bock mise essentiellement sur son aile nord, la plus puissante, pour percer le front soviétique aves ses cinq divisions blindées et motorisées qui rassemblent près de 400 chars. La 30e armée soviétique est contrainte  malgré elle de reculer mi-novembre face à ce poing de fer blindé, certes affaibli mais toujours puissant. Quelques semaines plus tard,  les troupes allemandes éreintées seront cependant contraintes de reculer, même si la légende veut que quelques soldats aient pu apercevoir au loin les toits d’or du Kremlin. L’aile sud menée par Guderian, après un vaste mouvement de plus de 300 km pour rejoindre l’offensive vers Moscou, s’épuise, elle aussi, très rapidement. Le 5 décembre, elle est contrainte à l’arrêt sans avoir réussi à prendre Toula, son objectif au sud de la capitale.

Comme le remarque Jean Lopez, la plupart des historiens insistent lourdement sur la baisse brutale du thermomètre et les chutes de neige qui auraient interrompu la glorieuse offensive allemande. Pour les deux auteurs de Barbarossa, il s’agit là tout simplement d’une reprise des arguments d’Hitler face à un échec difficile à faire admettre à la population allemande quand lui-même annonçait courant octobre l’imminence de la chute de Moscou. Le führer évoque souvent cet argument dans un communiqué aux troupes « la survenue soudaine de l’hiver » et prolonge cette idée dans un discours au Palais des sports : « Ce n’est pas le Russe qui nous a contraints

Troupes sibériennes

à la défensive mais un froid de -38,-40, -41 et même -45 degrés. Par ces froids, aucune troupe non habituée ne peut tenir. » Une argumentation qui servira aussi après-guerre aux généraux allemands pour justifier cet échec qui, selon eux, les aurait privés d’une victoire presque acquise. Une autre légende reprise très souvent et qui fait également partie de la mythologie de cette bataille, est celle du rôle décisif des divisions sibériennes. Celles-ci auraient été transférées de la frontière japonaise vers le front moscovite et en raison de leur expérience du combat dans le froid, auraient joué un rôle décisif. Or, elles n’auraient représentées que 2% des effectifs, une goutte d’eau donc parmi les effectifs  des troupes russes. Selon les auteurs de Barbarossa donc « rien n’est plus faux « que l’idée que l’hiver aurait empêché les Allemands d’atteindre Moscou. Selon eux en effet,  « la Wehrmacht n’avait aucune chance de prendre Moscou, y compris avec un hiver doux. «  L’offensive qui s’écrase définitivement contre les défenses russes entre le 2 et le 5 décembre aurait dû encore parcourir 200 km à travers un territoire difficile pour fermer l’encerclement et en présence d’encore six armées comportant  230 000 hommes et 2 millions de civils soviétiques mobilisés. Il est illusoire de croire que les armées allemandes auraient été capables d’un tel prodige vu leur état après près de cinq mois d’opération. Pour Jean Lopez « Les Allemands n’ont pas manqué Moscou d’un cheveu mais d’une année lumière. Ils n’avaient ni les effectifs ni la logistique ni le moral pour y parvenir. » En cette fin d’année 1941, c’est donc bien le soldat soviétique et non le général « hiver » qui a terrassé l’ogre allemand et qui a enclenché le premier mouvement de recul d’une armée que l’on pensait invincible.

Une réflexion sur “Barbarossa et le mythe du général « hiver »

  1. Fainac

    Si pour Staline “l’Homme était les Capital le plus précieux”,il n’en était pas de même pour les soldats !Des leur retour de captivité , ils furent i ternes au goulag pour desertion !La guerre changea de tournure , après l’accord de crédit -bail , avec les américains et surtout …le sacrifice des soldats !

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s