Il y a quelques jours, Bertrand Moreau de Bellaing, un des cinq derniers survivants de la bataille de Saumur, disparaissait peu de temps avant la célébration des 80 ans de ces combats où il entra dans la légende avec ses compagnons. Cette bataille oubliée est pourtant un des nombreux actes glorieux des soldats français lors de cette funeste campagne de France.
10 Mai 1940, la Wehrmacht, passe à l’attaque et déferle sur la Belgique et les Pays-Bas. Les meilleures troupes françaises et britanniques ont l’ordre d’avancer sur la ligne Dyle-Breda. Le général Gamelin tombe dans le piège tendu par le père du plan allemand : le général Manstein. Alors que les unités alliées s’avancent au nord, plus au sud, les divisions blindées allemandes franchissent les Ardennes. Elles prennent alors à revers les Français et les Britanniques. Les généraux audacieux, comme Rommel ou Guderian, se ruent avec leurs troupes parfaitement entraînées dans les plaines du nord de la France. Les unités franco-anglaises sont prises à revers, coupées de leurs arrières et encerclées à Dunkerque. Les soldats français mal commandés par des généraux pétrifiés et dépassés par les événements se battent avec courage comme à Lille ou à Stonne. La marine britannique réussit l’évacuation des soldats piégés dans la ville grâce aux efforts héroïques défensifs de quelques divisions françaises éreintées. Malgré ce sauvetage, le 10 juin, c’est la déroute. Les Allemands entrent triomphalement dans Paris le 14 et défilent sur les champs Elysées devant les yeux embués des quelques Parisiens qui n’ont pas fui.
En direction de Saumur
Bordeaux devient le refuge du gouvernement en fuite. Les populations civiles, paniquées, fuient vers le Sud. Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain appelle à cesser le combat. Les troupes allemandes s’approchent maintenant de la Loire et de la petite ville de Saumur. Or, là, la prestigieuse école de cavalerie de l’armée française s’apprête à entrer dans l’histoire de France. En ces chaudes journées de juin 1940, le soleil tape fort sur les routes de la Mayenne. La Ier Kavallerie-Division, fonce sur les petites routes de campagne après avoir brillé aux Pays Bas et en Belgique. La division vient de recevoir l’ordre de se porter sur la Loire pour tenter d’y prendre intacts les ponts que l’armée française va tenter de détruire pour freiner l’inévitable avance germanique vers le sud. Son chemin passera inévitablement par Saumur que beaucoup de ses officiers connaissent pour y avoir participé à des concours d’équitation au sein de la prestigieuse école de cavalerie française.. Que reste-il face aux chars à croix gammée ? Rien, ou presque, sinon des trainards démoralisés, futurs prisonniers, et quelques ilots de résistance à culbuter.

Côté français, à l’école de Saumur, l’ambiance est sombre. Le 17 juin, les élèves officiers ont écouté avec rage le discours du maréchal Pétain exhortant à l’arrêt des combats. Or, leur code de l’honneur leur interdit de se rendre sans combattre. Leur chef, le colonel Michon, héros invalide de la Grande Guerre, ose s’opposer à l’ordre de retraite. Lui est ses jeunes officiers ont décidé de sauver l’honneur de l’Armée française. Un cavalier se doit de ne jamais reculer devant l’ennemi ! 40 kilomètres de front se dressent devant eux entre le pont du village de Gennes et celui de Montsoreau: au cœur du dispositif Saumur et ses deux ponts. La lutte sera déséquilibrée, mais, quoi qu’il leur en coûtera, l’honneur sera préservé. On commence à barricader les rives avec ce que l’on peut. Les cadets manquent de tout mais pas de l’envie de se battre, tels leurs aînés de la dernière guerre. Et, pourquoi pas, cette fois à Saumur, ne pas repousser héroïquement l’envahisseur comme en 1914 sur la Marne ? Portés par cet espoir fou, les cadets de Saumur s’apprêtent à entrer dans l’histoire de France…
Cette prestigieuse Ecole forme les officiers de cavalerie depuis plus d’un siècle. Malgré la déclaration de guerre du 1er septembre 1939, les cours se sont poursuivis mais les élèves ne rêvent que de partir sur le front. Ils sont tous appelés les EAR (Elèves Aspirants de Réserve) mais, modernité oblige, les véhicules blindés remplacent de plus en plus les chevaux. On distingue ainsi les montés, surnommés « les crottins », des motorisés, surnommés « les cambouis ».

Ce sont alors 550 EAR qui sont alors en formation à l’Ecole. Depuis peu, leur ont été rajoutés 240 EAR du « Train », formés à la logistique et au déplacement des troupes. Toutefois, les cavaliers regardent de haut ces logisticiens. Renforcés par les hommes d’unités en déroute, ils sont donc environ 2200 soldats à attendre de pied ferme les 40 000 Allemands qui roulent vers Saumur.
Les voici tous réunis devant leur colonel qui, ému, leur annonce solennellement : « Messieurs, la situation est désespérée. Nous devons à l’honneur de la cavalerie de défendre les postes de Saumur, même si cela ne doit servir à rien.» Les larmes aux yeux, tous ont le cœur résolu à se battre. L’officier reprend « Nous devrons protéger 40 kilomètres de rives la Loire. » Les quatre ponts de la zone sont à détruire à l’approche de l’ennemi, Saumur étant le point central. Le lieutenant Buffévent est chargé de la partie clé du dispositif : la défense du pont Napoléon, principal passage de la Loire au nord de Saumur et le lieutenant Perrin et sa brigade défendront celui du sud. Les deux autres à Gennes et Montsoreau seront défendus par les brigades du lieutenant Desplats et du lieutenant Trastour. « Nous sommes sous équipés, avec des armes datant parfois de la dernière guerre mais vous ferez votre devoir comme vous l’avez toujours fait. Nous pouvons compter sur nos 550 élèves aspirants de réserve (EAR) ainsi que les 240 EAR du Train chargés de la logistique. Aidés de quelques soldats en déroute, nous serons donc environ 2200. Selon les informations de l’Etat-Major, ce sont environ 40 000 Allemands qui sont en direction de notre secteur. Notre devoir est de mourir ici, cette mort est un honneur que l’on nous fait !

La bataille commence
Ce 16 juin, une fois reçu les instructions du colonel, Buffévent réunit les hommes de la brigade qu’on vient de lui confier. Soit 120 hommes pour tenir le secteur le plus stratégique. L’affaire va être ardue mais l’enthousiasme de ses hommes lui fait un temps oublier ses craintes. Le lieutenant hurle ses ordres. Tous s’activent et, une fois les remorques chargées, les camions et les motos démarrent en trombe. Ils roulent à pleine vitesse vers le centre de Saumur quand les autres brigades s’éloignent pour se positionner le long du fleuve. Leur lieu habituel d’entraînement, pourtant si familier, va devenir un champ de bataille où se joue le sort de la France.
Au poste de commandement sur la rive sud situé dans un entrepôt à la vue imprenable sur le pont, l’agitation commence à se faire sentir. Depuis quelques heures, de nombreux éclaireurs à motos ont été missionnés sur la rive nord pour parcourir le pays et signaler l’arrivée des premières colonnes ennemies. Le matin, on les a repérés à moins de 50 km, ils seront là le lendemain au plus tard. Dans la soirée, le lieutenant va sur l’île fortifiée sous le pont Napoléon où il a fait placer un autre canon de 25, encadré par deux mitrailleuses. Il veut être en première ligne pour commander le feu. Jamais loin de sa pipe, il lui est impossible pourtant de fumer ce soir : la moindre lumière signalerait leur position à l’ennemi. Les jumelles à la main, Buffévent attend donc près des artilleurs le moment d’entrer en action. Personne ne peut trouver le sommeil en cette nuit mémorable qui devrait voir arriver l’avant-garde allemande.
Soudain, de la rive nord, se fait entendre le son si caractéristique d’une colonne blindée. Plus aucun doute, ils sont là ! Une fois les véhicules à distance de tir, le lieutenant hurle dans un cri libérateur : « feu ! ». Sur l’autre rive, un premier char est touché et s’embrase aussitôt. Le canon continue à tirer, accompagné par les mitrailleuses, adroitement placées pour balayer les fantassins. Avec un sang-froid impressionnant, les hommes de l’unité atteignent, à tous les coups, les Allemands.
Ce premier contact est un franc succès ! Sept chars et deux automitrailleuses brûlent et illuminent l’eau qui continue à s’écouler paisiblement sous le pont. De nombreux soldats allemands jonchent ce sol que les cavaliers français ont juré de défendre jusqu’à la mort. De l’île, on entend les officiers allemands crier les ordres de retraite. Succès provisoire évidemment, ils ne tarderont pas à contre-attaquer, cette fois mieux préparés. Réactif et efficace, le lieutenant Buffévent ordonne à ses hommes de recharger les armes. Il est temps maintenant de faire sauter le pont comme convenu avec le colonel. A minuit 15, ce 19 juin, la partie nord du pont Napoléon explose et les flammes illuminent les positions tenues par les Français. La nuit ne fait que commencer et les autres unités, alertées par le bruit et la lueur des flammes, s’apprêtent, elles aussi, à connaître leur baptême du feu.
Les chars ennemis achèvent de brûler éclairant le fleuve d’une lumière rougeoyante. Les yeux rivés à ses jumelles, Buffévent tente de percevoir les mouvements ennemis qui se fortifient à l’abri des murs de la partie nord de la ville. Après les fracas du premier accrochage et l’explosion des ponts, le fleuve a maintenant retrouvé son calme. Désormais, les seuls bruits sont ceux des véhicules ennemis prenant position hors du champ de vision des soldats français. La nuit se poursuit ainsi dans une pesante attente qui laisse à chacun le temps de l’appréhension de la dure journée suivante. Quelques tirs, ici et là, retentissent sporadiquement des deux côtés. On se harcèle pour jauger la force de l’opposition de l’autre rive. Quand l’aube laisse pointer ses premiers rayons de soleil, stupeur ! Ce n’est pas un char qui surgit sur la rive tenue par les Allemands mais une simple voiture sur laquelle est hissé un drapeau blanc. Les mains en l’air, un officier sort visiblement pour parlementer.
Comme des lions
Buffévent soupçonne une ruse et ordonne le tir sur le soldat. L’homme s’écroule le long du véhicule. Quelques soldats accourent pour le ramener vers l’arrière. Un tir qui provoque la colère du général allemand Kurt Feldt. L’artillerie allemande entre alors en scène et crache ses obus sur Saumur et sur l’île où se situent Buffévent et sa brigade. Toute la matinée, les explosions accablent la ville, à l’aveugle, épargnant seulement l’Ecole de cavalerie où les officiers allemands souhaitent s’installer. Les maisons sont touchées par dizaines et les morts s’accumulent dans les rues de cette ancienne paisible citée. Du ciel, duquel tombe la mort, surgissent en renfort les redoutables avions à croix noires dont la mission est de repérer les positions françaises pour faciliter la prochaine offensive allemande.

Après ces tirs d’artillerie, les Allemands décident de traverser le fleuve avec des canots à Saumur mais aussi à Gennes, l’autre pont plus à l’ouest. Leurs assauts sont toutefois repoussés par les jeunes cadets soutenus par quelques tirailleurs. De nombreux corps d’allemands flottent sur le fleuve. Les combats sont extrêmement violents et les Français n’ont, eux, que quelques mortiers et de rares canons en armes lourdes pour affronter ce déluge de feu. Quand le soleil se couche, malgré de lourdes pertes des deux côtés, les positions françaises n’ont pas été enfoncées et le drapeau tricolore flotte encore sur toute la rive sud du fleuve. Après avoir voulu réaliser un retrait stratégique et quitter l’ile, Buffévent se voit ordonner de retourner sur celle-ci. Persuadé qu’on l’accuse de lâcheté, il décide de traverser le fleuve dans la nuit accompagné de deux hommes pour réaliser un acte de bravoure en tentant une reconnaissance côté allemand. Il meurt, malheureusement, glorieusement tué au petit matin.
Ce même jour, les allemands relancent un assaut massif sur l’ile de Saumur et celle de Gennes. Ils réussissent cette fois à prendre pieds sur celles-ci et gagnent du terrain. A Gennes, Desplats et sa brigade se battent comme des lions et la plupart des défenseurs se font tuer sur place à l’image de leur chef frappé à mort par un obus. A Montsoreau, les hommes sont contraints de décrocher aussi vers le sud face au nombre. Le soir du 20 juin, le colonel Michon, conscient que l’honneur est sauf, et que la bataille est perdue décide de faire battre en retraite ses hommes sur la Vienne. Il souhaite ne pas faire massacrer l’ensemble de ses officiers d’élite dans l’espoir qu’ils seront utiles si la guerre doit continuer.
Une partie des défenseurs, épuisés et sans munitions, sont contraints de se rendre dans la forêt de Fontevrault. Une autre partie réussit à fuir vers le sud dans l’espoir de poursuivre le combat. Admiratifs face à leur résistance héroïque, les Allemands décident de rendre les honneurs à leurs prisonniers et de les libérer ensuite en leur permettant de rejoindre la zone libre une fois l’armistice signé. Ce glorieux combat qui fit près de 250 victimes françaises, valut à l’Ecole la citation à l’ordre de l’Armée suivante: « Sous le commandement du colonel Michon, reflétant l’âme de son chef, l’Ecole Militaire de la Cavalerie et du Train, a combattu les 19, 20 et 21 juin 1940, jusqu’à l’extrême limite de ses moyens de combat, éprouvant de lourdes pertes, prodiguant les actes d’héroïsme et inscrivant dans les fastes de la Cavalerie, une page digne entre toutes de son glorieux passé. A suscité, par sa bravoure, l’hommage de son adversaire. »
Sur la première photo qui illustre le texte on peut observer un soldat français transportant un Bazooka sur ses épaules. Cette arme était déjà en service dans l’armée française en 1940 ?
Merci ! je trouve encore des munitions aux alentours parfois.
coquille : « Montsoreau »
Lisez le livre de Dominique Lormier « Comme des lions » qui relate de façon très documentée le sacrifice héroïque des armées françaises en mai-juin 40.