Netflix vient de façonner une nouvelle livrée de sa superbe tête de gondole, The Crown. Cette avant dernière saison offre un écrin étincelant à un trio féminin composé de la princesse Diana, Margaret Thatcher et la reine Élisabeth II. Les grises années 1980 britanniques y prennent un éclat exceptionnelle.
Balmoral, résidence d’été des Windsor, en cette fin des années 1970 s’apprête à accueillir deux femmes qui feront basculer le royaume d’Élisabeth II dans l’époque contemporaine. Le château écossais, cadre des vacances de la famille royale est le spectateur monumental et austère du splendide deuxième épisode de la saison. Un épisode qui pose les bases des personnalités des deux nouvelles têtes de la série : la dame de fer et la princesse des coeurs. La première, fille d’épicier, ne possède pas les codes pour s’insérer dans le microcosme royal hors du temps des Windsor. Une famille qui lui fait bien sentir, malgré la bienveillance de la reine, l’intrusion gênante qu’elle représente dans ce cadre. La deuxième, au contraire, maîtrise tous les codes et s’y intègre parfaitement, probablement trop, séduisant ainsi le prince Philip qui voit en elle la candidate idéale pour épouser son fils, pourtant amoureux de Camilla Parker-Bowles.

Un épisode qui résume toutes les qualités et les quelques défauts de la série. S’ils sont rares, ces derniers existent et n’entament en rien l’exceptionnelle maîtrise de l’ensemble de la série historique qui durant cette saison va glisser de 1979 à 1990. On regrette ainsi parfois l’accentuation par les scénaristes de certains traits des personnages poussant par trop des rivalités afin de souligner les enjeux dramatiques. Margaret Thatcher n’a en effet jamais subi ce bizutage royal comme l’a fait remarquer la presse britannique et n’aurait probablement jamais commis les impairs visibles dans cet épisode. Les maladresses thatcheriennes ne sont là que pour rappeler des origines sociales qui l’opposent à la reine et à une famille dont les ancêtres comptent parmi les plus grands souverains d’Europe.

Autre regret, l’aspect politique reste superficiel mais reconnaissons-le ce n’était pas l’objectif de départ de la série. On regrette ainsi de ne voir aucune passe d’arme à la Chambre des communes entre la Première ministre et son opposition qui furent souvent des moments savoureux de répartie. L’historien regrettera aussi que la Guerre des Malouines soit par trop survolée comme les tensions en Irlande, sujet du premier épisode. Couvrir ces dix années décisives dans l’histoire contemporaine de la Grande Bretagne était toutefois une gageure que les scénariste ont réussi à surmonter. La série n’oublie pas à d’évoquer la profonde crise sociale et économique qu’ont représentée les années Thatcher dans un superbe cinquième épisode qui relate l’intrusion d’un prolétaire anglais dans la chambre de la reine à l’été 1982.
Passées ces quelques critiques, les qualités sont légions et il est difficile de toutes les évoquer. Notons tout de même la réalisation splendide dans lequel chaque détail est travaillé à l’excès, la photographie toujours somptueuse et des reconstitutions soignées comme doivent l’être les parquets de Buckingham avant une réception royale. S’y impose le talent des acteurs anglo-saxons dont on voit peu d’équivalents en France. Acteurs de seconds rôles pour la plupart quand ils ont intégré la série, on cherche de telles pépites de l’art dramatique dans la pourtant grande profusion cinématographique hexagonale. Si Olivia Colman est impeccable dans son rôle cependant tout en retenu et en contrôle de la reine Élisabeth, le prince Philip est joué par l’exceptionnel Tobias Menzies dont on savoure chacune des répliques. Gillian Anderson, ex-agent Scully, en Margaret Thatcher acquière le plus grand rôle de sa carrière dans lequel elle est troublante de justesse. La jeune Emma Corrin impressionne aussi par son interprétation de Diana tout en délicatesse et en force. Mention spéciale pour Josh O’Connor qui interprète Charles et, lui donnant une profondeur surprenante, fournit à ce prince mal aimé une épaisseur méconnue.
Avec plus de 73 millions de foyers touchés dans le monde, la série joue incontestablement un rôle de soft power pour la Grande Bretagne dans ces années post-Brexit. La couronne, elle, en sort évidemment grandie. Si Charles hérite un jour de celle-ci, le si peu charismatique fils de la reine Élisabeth devra beaucoup à l’interprétation de Josh O’Connor et à The Crown pour asseoir la popularité de son début de règne et le prestige de son trône.