Edgar P. Jacobs : Le rêveur d’apocalypses

François Rivière avait déjà livré en 2003, en collaboration avec Benoît Mouchart, La damnation d’Edgar P. Jacobs, une biographie de référence qui fut rééditée en 2006 puis augmentée récemment sous le titre Edgar P. Jacobs, Un pacte avec Blake et Mortimer. Parmi d’autres publications consacrées à Jacobs, il signa également l’année dernière La Fiancée de Septimus, une aventure de Blake et Mortimer hors-série. Alors qui d’autre que lui, connu comme l’un des meilleurs spécialistes jacobsiens, pouvait donc prétendre à l’écriture de la bande dessinée biographique du père de Blake et Mortimer ? Accompagné au dessin par Philippe Wurm, François Rivière nous livre une mise en abîme poétique et délicate dans laquelle Egard Félix Pierre Jacobs devient à son tour le personnage d’un opéra de papier. Un opéra de papier, c’est justement le titre que l’artiste avait choisi pour ses mémoires, lesquelles, sans doute par pudeur, s’avèrent peu bavardes quant à l’essentiel de sa vie.

Edgar P. Jacobs

François Rivière, qui a connu Jacobs de son vivant, a su au fil du temps compléter cette autobiographie par nombre de précisions, les enrichir par quantité d’anecdotes et en augmenter considérablement l’interprétation. Ainsi peut-il restituer pour nous la personnalité d’un auteur peu commun qui, hanté par la menace apocalyptique d’une troisième guerre mondiale, participa presque malgré lui à l’aventure créatrice de la bande dessinée franco-belge au mitan du XXe siècle. François Rivière est un caravagesque, procédant par coups de projecteur sur des moments de la vie de Jacobs, avec l’intime conviction que les plus significatifs ne sont pas les plus colorés. François Rivière est aussi un impressionniste, disposant ça et là dans le récit, avec discrétion, comme autant de touches de peinture noyées dans la toile, les sources dont Jacobs s’est inspiré pour créer son œuvre et que les connaisseurs, à la manière d’un subtil jeu de piste, sauront deviner.

Qui aura découvert, derrière cette case, la fameuse couverture de La Marque Jaune ? Ou dans celle-ci les moulages en terre cuite de Satô que Jacobs avait fait réaliser afin de pouvoir dessiner le professeur plus sûrement ? Pour les non initiés, les auteurs, qui ont patiemment construit leur œuvre lors de repérages et de discussions, délivrent des anecdotes plus explicites, ainsi celle du cheik Abdel Razek dont François Rivière a identifié la silhouette originelle dans Le secret du mage, un roman d’André Laurie paru en 1890. Toutes ces recherches se retrouvent d’ailleurs dans une édition « luxe » qui, grâce aux dossiers disposés en vis à vis des planches en noir et blanc, associant au plaisir de la lecture celui de la documentation, permet de mesurer un peu plus tout ce que la bande dessinée et la culture populaire actuelles doivent à Jacobs.

Edgar P. Jacobs, un pacte avec Blake et Mortimer

D’un trait doux et souple, Philippe Wurm retrace cette vie singulière, de sa jeunesse bruxelloise à son exil au Bois des Pauvres, de sa carrière initiale d’artiste lyrique à sa rivalité avec Hergé, de la place prépondérante de Van Melkebeke à celle, indispensable, de Jeanne Quittelier. Grâce à ses dessins à la fois réalistes et simplifiés, le scénario de François Rivière se teinte d’onirisme ; et sa couleur, maîtrisée, participe pleinement à l’atmosphère de nostalgie qui embaume jeux de mots et momies. Son encrage sûr, quant à lui, sait alléger les nombreuses cases ramassées où le lecteur prend plaisir, parmi les détails foisonnants, à retrouver les clins d’œil savamment distillés (songeons à l’emploi de véritables typographies comme ç’avait été le cas pour Le Lotus Bleu en son temps). C’est une lecture extrêmement fournie, au découpage sobre, dont on ressort apaisé et où la figure de Jacobs apparaît à son image : pleine de retenue, de fantasmagories, armée du sourire candide de celui qui ne réalise pas que son destin l’a déjà trouvé.

L’opéra de papier s’achève sur une note émouvante. Au bout de la ligne de vie, au-delà du corps qui s’efface, il y a l’infinie pureté de la ligne claire qu’Egard Félix Pierre Jacobs rejoint en silence. Les limites des cases disparaissent enfin dans le noir de la nuit. L’auteur s’élève comme une étoile filante, parsème le ciel de lumières qui sont autant d’œuvres en devenir. Assurément Edgar P. Jacobs : Le rêveur d’apocalypses, mise en abîme poétique et délicate, est l’une de celles-là.

Référérences

François Rivière, Philippe Wurm, Edgar P. Jacobs : Le rêveur d’apocalypses, Glénat, 2021,144 p., 22€50 François Rivière, Philippe Wurm, Edgar P. Jacobs : Le rêveur d’apocalypses – Edition luxe, Glénat, 2021, 288 p. 49€50 François Rivière, Benoît Mouchart, La Damnation d’Edgar P. Jacobs, Seuil, 2003, 352 p., 21€30 François Rivière, Benoît Mouchart, Edgar P. Jacobs, Un pacte avec Blake et Mortimer, 2003, 352 p., 24

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