Dans les têtes coupées de Danton et Robespierre

« La mort est le commencement de l’immortalité ». Voici ce que disait Maximilien de Robespierre quelques temps avant de monter à l’échafaud. L’immortalité, pourtant, confine au froid et à l’immobilisme du marbre. Aussi peut-on se demander si la mission de l’historien est de redonner vie et couleurs à ces grandes statues marmoréennes.

Danton et Robespierre, Le choc de la Révolution de Loris Chavanette, Editions Passés Composés

Dans cette querelle, Loris Chavanette a, dans son dernier livre, pris franchement son parti et de cela nous ne pouvons que le remercier. Plutôt que de borner son analyse à la démarche des personnages, il prétend cerner leurs personnalités. Il ne souhaite pas étudier, il veut expliquer. Il ramasse alors tout le matériel qu’il trouve puis se lance à corps perdu vers Robespierre et Danton. Le procès de ce dernier, d’ailleurs, lui inspire des pages sublimes. Derrière son penchant pour le député d’Arcis, on flaire sa volonté d’atténuer les louanges dont l’Incorruptible fait régulièrement l’objet, notamment sous la plume de Jean-Clément Martin. Mais dans un duel de cette altitude, on n’échappe pas à la préférence et même les plus grands historiens, malgré leurs tentatives de camouflage, n’ont pu se montrer totalement impartiaux. Loris Chavanette prétend également révéler certains documents dont d’autres spécialistes contestent le caractère inédit. L’avenir jugera ; mais cela a le mérite d’aviver le débat.

Partout chez l’auteur, on devine le plaisir de l’écriture, on pressent l’envie de se rapprocher des monuments du XIXe siècle. Il échappe toutefois à l’histoire, à moins que ce ne soit l’histoire qui lui échappe car rapidement, il cède au roman et cite Jaurès, Lamartine ou Dumas. La légende des siècles l’emporte, comme naguère Michelet son lyrisme. Sa plume se déploie toute seule, véloce, parfois trop. Ainsi a-t-on l’impression, ici et là, de parcourir une interminable quatrième de couverture. Certains épisodes décisifs, tel la fin de Marie-Antoinette, s’en trouvent purement et simplement escamotés. Cela n’empêche pas Loris Chavanette de nous jeter dans le torrent révolutionnaire, au milieu de ces destins de géants qui nous entraînent facilement vers l’horizon de l’Empire.

L’auteur déchaîne et enchaîne des formules qui, bien que déjà connues, savent toujours captiver. Et malgré ses pages ornées d’études psychologiques fantasmées et de sentences boursouflées de fausses solennités, sa composition s‘émaille de trouvailles charmantes, comme ce Saint-Just « ayant les idées de Robespierre et le style de Danton ». Dans cet ouvrage dédié davantage au néophyte qu’au connaisseur — et, à ce titre, très bien fabriqué, Loris Chavanette voulait tirer deux portraits ; il finit par peindre une fresque, assez jolie au demeurant, mais qui n’est plus vraiment de l’histoire. A moins que l’on porte sa réflexion sur la définition même d’histoire. La question est alors de savoir si cet énième face-à-face est une exception parmi le paysage historiographique actuel ou s’il préfigure le grand retour du roman national dans la sphère universitaire.

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